Amos Witeman, ce qu’il en reste

Biographie et anthologie, projet en cours

Influence majeure de Bertrand B., Amos Witeman est un auteur inconnu. Et pour cause : à part un tirage de 200 exemplaires dans une microscopique maison d’édition canadienne disparue presque aussitôt, il n’a rien publié. Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire. Des centaines de pages manuscrites de très haute volée, dans de nombreux carnets. Ce qui pose une question majeure : est-on un auteur parce que l’on est publié et distribué, ou parce que l’on a écrit des textes inspirants et profonds ?

Presque unique dépositaire aujourd’hui des copie de ces manuscrits, tous rédigés en anglais et en pattes de mouches, Bertrand B. s’emploie patiemment à les traduire et à rédiger une anthologie de l’œuvre fleuve de cet écrivain et penseur hors du commun. Il partage autour de lui ses textes à d’autres auteurs, qui tout comme lui citent Witeman dans leurs propres écrits, à l’exemple de Marc Falvo (dans Coup du Sort ou sur le site des éditions Faute de Frappe) ou Stanislas Petrosky (dans Requiem, Dieu pardonne, lui pas ! et Requiem pour un fou). La célèbre Johanna Gustawsson (Mör, Sång) a même déclaré, en 2016 : « Witeman, c’est Bukowski qui rencontre Hemingway. Un must. »

Qui était Amos Witeman ?

Amos Witeman en octobre 1995. Photo C.Bianchini pour la gazette locale de Cheyns, Wisconsin.

On ne sait que peu de chose d’Amos Tekoa Witeman. Né à Fairfield, Oklahoma, le 6 août 1936 d’un père afro-américain, Lester Witeman et d’une mère amérindienne, Ama (vraisemblablement Cherokee), son enfance se devine compliquée au travers de ses écrits. Toute sa vie instable, il voyagera beaucoup et passera de petit boulot en petit boulot. Il sera notamment bûcheron dans le Michigan, convoyeur dans le Grand Ouest ou barman en Floride. Il vivra quelques années à Québec, où il apprendra le français. En 1986, il ouvre une librairie à Cheyns, petite ville du Wisconsin. Celle-ci périclitera lentement jusqu’à la mort de Witeman le 17 décembre 1996. S’il on en croit ses textes, il aurait été ami – et surtout compagnon de beuverie – de Bukowski et, bien que rien ne permette de l’affirmer, aurait rencontré Hemingway en Floride. Ce dernier, outre l’influence qu’il aura sur lui, l’aurait incité à toujours avoir un carnet sur lui pour y prendre en note ses idées.

Il est impossible de dire quand il a commencé cette activité, mais les carnets existants sont datés de 1975 à 1994, et portent tous un titre. Il s’agit là d’une rédaction linéaire, pratiquement sans correction ni repentir. Certains possèdent des narrations construites et d’autres se présentent sous la forme d’essais ou de recueils d’idées et de pensées disparates suivant néanmoins un fil conducteur cohérent. Il n’aura publié qu’un seul livre, à compte d’auteur et à 50 exemplaires : Madmen’s twilight en 1978. Celui-ci sera traduit en français (en partie par lui) et édité deux ans plus tard à 200 exemplaires sous le titre Le crépuscule des fous par la minuscule maison d’édition québécoise « Grand Bruit », dirigée par le fils d’un d’un ami bûcheron de l’époque. Son nom y sera orthographié par erreur « Whitman ». Il ne s’agit pas d’un roman conventionnel mais d’une suite maîtrisée de nouvelles, intercalées de réflexions philosophiques remettant en cause tour à tour le rôle du narrateur, la vérité dans les écrits, les croyances de la civilisation occidentale et s’interrogeant sur le but de la vie, ce qui sera une constante de son œuvre. Ce sera le dernier ouvrage publié par Grand Bruit, qui mettra la clé sous la porte dans l’année suivante.

Amos n’a jamais été marié. Mais en 1982, sa compagne de l’époque donne naissance à une fille, Amalia, dont il ne voulait pas (fervent défenseur du no-kid), mais qu’il reconnaitra néanmoins en 1986. Celle-ci, bien que ne l’ayant que difficilement connu, récupérera l’intégralité de ses carnets, qu’elle scannera pour la postérité.

Amalia et Bertrand B. deviennent amis lors d’une rencontre à Prague en 2009. Suite à une longue correspondance, elle lui offrira les copies des documents en sa possession et même certains originaux (dont What’s left, « Ce qu’il en reste »).

Cynique et sensible, nihiliste bien qu’humaniste, no-kid, indépendant et polylove, souvent alcoolisé, déraciné, écorché vif et en recherche de vérité, voici Amos, l’écrivain inconnu.

Morceaux choisis

Quelques citations traduites, classées par carnets. La graphie originale est respectée autant que possible.

Le crépuscule des fous – 1978

Une histoire qui ne commence qu’à son début
et s’achève irrémédiablement par sa fin
n’offre qu’une seule dimension
indigne de gens épanouis dans trois (3).

–  » Si le choix m’en était laissé, je préférerais voir la fin du monde de mon vivant. Quelle expérience extraordinaire ce doit être et sûrement la meilleure façon de partir sans rien avoir à regretter.

Extrait ici d’un dialogue, repris presque à l’identique dans Ce qu’il en reste, cette fois sous la forme d’une citation

Je crois que si beaucoup de gens apprécient les histoires fantastiques, c’est parce qu’ils aimeraient que certaines soient vraies. Tout comme certains cherchent absolument à trouver des preuves de l’existence des extra-terrestres ou des anges. Si cela s’avérait réel, ce serait enfin un espoir de sauver le monde ; seule une aide extérieure, inconnue ou supérieure, est encore capable de le faire.

Dernier paragraphe du carnet. La rature semble postérieure
à la rédaction de plusieurs années.

Absence de marquage au sol – 1982

La vie est bien plus agréable à vivre

une fois que l’on a admis qu’elle ne va nulle part.

Le lion rugit, le serpent siffle mais
pour se protéger l’Homme, lui,
sait imiter tout le monde.

Mieux vaut se tromper que pécher par immobilisme.


Ce qu’il en reste – 1983

On dit du diable qu’il se cache dans les détails. On dit de Dieu la même chose. A mon humble avis, ils jouent à cache-cache.

Au lieu de perdre votre temps
à chercher le sens de la vie,
occupez-le plutôt
à combler son absence.

Faire des projets c’est comme tirer à la carabine. Plus l’objectif est lointain, moins on a de chances de l’atteindre.


Des hommes assis sur des chaises – 1984

Compte tenu des éléments dont je disposais,
tout ce que j’imaginais à cet instant me semblait plausible.
C’est pour cela que j’ai continué à chercher la vérité
ailleurs, dans l’impossible.

L’important n’est pas de gagner mais de croire qu’il y a quelque chose à gagner.

L’obsession est le mariage houleux du limpide avec l’insaisissable


Les logorrhées du silence – 1986

La schizophrénie nécessite une bonne organisation.

Si les bonnes décisions sont
prises grâce à l’expérience, le problème reste que notre
expérience vient souvent des mauvaises.

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